Entretien avec l’Atelier Paysan

Photo : l’Atelier Paysan

En amont de notre participation aux rencontres 2017 de l’Atelier Paysan, nous avons rencontré Julien Reynier, chargé de développement. Il nous a présenté la démarche de cette coopérative d’autoconstruction, entre appropriation des technologies, farmlab et matériel agricole sous licence libre.

Bonjour Julien, peux-tu nous expliquer comment s’est créé l’Atelier Paysan ?
« En 2009, une rencontre a lieu en Rhône-Alpes entre des paysans bio et l’ADAbio (Association pour le Développement de l’Agriculture Biologique en Savoie, Haute-Savoie, Isère et Ain) autour de la mutualisation des savoir-faire paysans. Cette rencontre aboutie à la création de l’Atelier Paysan : une plateforme ressource sur la fabrication d’outils adaptés aux pratiques d’agroécologie. La structure devient une SCIC – une société coopérative d’intérêt collectif – à partir de 2014. Il y a un véritable bouillonnement créatif dans les fermes qu’il faut partager si on veut développer une agroécologie paysanne, une agriculture biologique, qui ne peuvent s’épanouir que si des outils de production adaptés à ces pratiques y sont développés.
Les paysans sont bien placés pour innover dans leurs pratiques mais il leur manquait une plateforme de mutualisation de ces savoir-faire. L’Atelier Paysan a été constitué avant tout pour permettre la valorisation et la mutualisation des outils issus de ces innovations paysannes et que l’on ne trouve pas forcément dans le commerce, c’était une façon de faire baisser les coûts également. »


Quel lien peut-on imaginer d’après vous entre les fablab et l’agriculture urbaine ?

« Il y a un besoin pour accéder à des lieux de ressources et de compétences pour les agriculteurs, pour réparer leurs matériels, les adapter à leurs besoins, les fabriquer aussi… nous faisons soixante-dix formations par an un peu partout en France et il y a de la demande pour en faire plus. C’est le renouveau du maréchal-ferrant ou de l’artisan qui arrive avec cette nouvelle dynamique de fabrication d’outils. Nous, à l’Atelier Paysan, on se considère comme une sorte de farmlab mobile itinérant : nous avons cinq camions ateliers équipés qui sillonnent la France pour apprendre aux agriculteurs à construire leurs machines agricoles ou même leurs bâtiments. Mais il y a aussi de la R&D qui est faite avec les agriculteurs, on peut soit partir de l’initiative d’un paysan qui a inventé quelque chose sur sa ferme et on prolonge alors son développement, soit partir d’un besoin, d’une demande collective et on propose des plans, on fait un prototype. Si la phase de test est convaincante, on pourra alors proposer des formations d’auto-construction pour essaimer l’outil développé et ainsi élargir la communauté de ses utilisateurs.
Il y a des lieux de ressources qui se développent un peu partout, nous ne sommes pas les seuls dans cette dynamique ! La demande est moins forte en ce qui concerne les fablabs actuels, plus axés nouvelles technologies, mais les agriculteurs pourraient être amenés à se tourner vers ce type de lieu pour prototyper des systèmes d’automatisation pour l’ouverture et la fermeture de serres par exemple. Il y a des ponts qui peuvent être imaginés entre les univers plus plastiques et numériques des fablabs et ceux des paysans. »

Comment envisagez-vous la ré-appropriation des techniques par les paysans ?

« Notre démarche est proche de celle de l’éducation populaire. On dit aux paysans « ne venez pas comme vous êtes » en clin d’œil à une célèbre chaîne de restauration rapide, on n’a pas envie de répondre à des consommateurs qui voudraient s’équiper à moindre coût, mais on propose une démarche totale, d’autonomisation par la réappropriation des savoirs, on souhaite instaurer, créer du collectif.
Beaucoup d’agriculteurs ne s’approprient malheureusement pas les techniques qu’ils utilisent, nous nous plaidons pour une appropriation des techniques utilisées. Ce qui nous intéresse dans les fablabs c’est cette approche d’éducation populaire et certainement pas celle d’incubateur à startups.
L’Atelier Paysan inscrit ses travaux dans le Pôle InPACT national (Initiatives pour une Agriculture Citoyenne et Territorial) qui regroupe des organisations qui travaillent à un autre projet agricole et alimentaire sur tout le territoire français. Le Pôle InPACT est porteur d’un plaidoyer sur la souveraineté technologique. Ce plaidoyer tend à montrer qu’il y a un réel besoin que les paysans s’approprient les questions autour de leurs outils de production. À la fois pour les raisons que l’on a évoqué précédemment et puis aussi car il y a un surendettement structurel des agriculteurs, qui sont souvent très mal conseillés. Les agriculteurs et leurs fermes deviennent des substrats pour l’épanouissement de l’agro-industrie et des banques.
Il y a aussi le fait que le ministère de l’agriculture va lancer un plan « Agriculture et innovation 2025 » qui va accélérer le déploiement du numérique, des biotechnologies et de la robotique en agriculture, ce qui nous semble être un scandale. Pourquoi dédier plus de dix milliard d’euros au déploiement de tout une camelote qui n’est pas nécessaire et qui surtout va permettre le développement d’une agriculture de précision, une agriculture totale, dont le but est d’éloigner l’être humain de l’analyse des phénomènes agricoles et remplacer l’intervention humaine ?
Cela nous semble grossier car l’agriculteur est capable de gérer la complexité écologique bien plus finement que le Big Data qui n’est qu’une agrégation de pratiques mais qui ne voit pas les choses dans leur complexité et dans leur totalité. Le niveau d’analyse de l’agriculteur est bien suffisamment productif. Tout cela amène progressivement à la dépossession des agriculteurs, à un désœuvrement et à une perte de savoir-faire, le chômage des professionnels n’est pas loin derrière.
Le plan «Agriculture et innovation 2025 » est bien compatible avec des exploitations industrielles de grandes dimensions, mais nous soutenons, à contrario, une agriculture avec beaucoup de paysans sur de petites surfaces et non pas des paysans qui soient uniquement des opérateurs, des techniciens d’un système toujours plus rationalisé mais pour les intérêts de l’agro-industrie.
Poser la question du dimensionnement de l’outil de travail sur les fermes c’est poser la question d’à qui cela profite ? Si les machines et les bâtiments permettent des gains de productivité par actif très importants, c’est-à-dire qu’il faut moins de personnes pour réaliser la même quantité voir plus de tâches, ce ne sont pas les agriculteurs qui s’approprient la valeur générée par cette économie de travail humain. C’est notamment le fournisseur d’équipements.
La situation à venir ne peut qu’amplifier cette dépossession des agriculteurs de la valeur générée par l’outil de travail puisque ces outils seront bientôt tous producteurs de données numériques, captées dans leur intégralité par des plateformes, qui revendront ensuite des services aux paysans. Où est l’autonomie des fermes ? »

31032452376_f5f6f52b07_zPhoto : L’atelier Paysan


Les outils que vous proposez en auto-fabrication sont sous licences libres, quel sens cela a pour vous ?
« C’est aussi pour ça que l’on parle de biens communs. On veut que tous puissent accéder à la connaissance, aussi bien pour la fabrication que pour la réparation des outils. Les low tech sont exigeantes mais restent accessibles, à contrario des high tech qui sont la plupart du temps verrouillées pour protéger les intérêts des firmes qui les produisent. Il nous semble que l’alimentation, l’agriculture, ne doivent pas relever d’un champ concurrentiel. Ça fait partie d’un Commun, l’alimentation fait partie d’un commun et ce n’est pas négociable.
On a donc décidé de mettre des licences creative commons sur les outils que l’on produit, mais après entretien avec Vladimir Ritz (doctorant en propriété intellectuelle et explorateur associé de PiNG sur le projet CLiBRE) on a réalisé que ce n’était pas forcément adapté pour tout ce qui relève de la propriété industrielle qui nécessite de faire des dépôts… Il faut donc continuer à chercher une solution juridique adaptée à la coopération entre agriculteurs. »


Rencontrez vous des difficultés juridiques pour mener à bien votre projet ?
« Au niveau juridique on a eu un premier problème sur un outil qui permet de travailler le sol et qui était déjà breveté. Nous n’en avions pas connaissance. Heureusement, un second système équivalent dont le brevet est devenu caduque en 2015 nous a permis de poursuivre le développement de cet outil. Nous avons bien perçu à ce moment là les limites importantes à la diffusion des savoirs surtout lorsqu’ils sont brevetés … même si cela concerne des technologies low tech !
Par rapport à notre travail d’auto-production, on ne se sent pas vraiment en concurrence avec les équipementiers même s’il y a parfois des accrochages la-dessus : par exemple un rapport commandé par le ministère de l’agriculture, qui lui même nous finance un peu, résumait notre démarche comme une aubaine d’innovation frugale, à bas coût. Et ce rapport encourageait les industriels à venir piocher des idées chez nous. Pour l’instant nous n’avons pas observé de copies ou d’exploitations de nos propositions qui soient réellement pertinentes. »


Combien de personnes sont mobilisées et soutiennent votre démarche ?
« Il y a quelques associations d’autoconstruction qui se montent ou des agriculteurs qui prennent des parts dans la coopérative. Nous avons formé à peu près 1000 agriculteurs depuis 2011. Sûrement y en a-t-il plus qui se sont formés à l’aide du guide de l’autoconstruction que l’on a fait paraître en 2012 ou bien en téléchargeant directement des plans de fabrication depuis notre site.
Si vous êtes intéressés par notre démarche, nous vous donnons rendez-vous aux rencontres 2017 de l’Atelier Paysan qui auront lieu du 28 au 30 avril ! Il y aura notre assemblée générale mais aussi des ateliers d’échanges, des chantiers participatifs. »

>>> Ressources pour aller plus loin
Pour une souveraineté technologique des paysans
Le programme des rencontres 2017

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