Propriété intellectuelle et culture libre dans les fablabs

INTENTION
Note d’intention co-rédigée en 2013 pour expliciter la démarche à l’œuvre dans la CEPI (Cellule d’Expérimentation sur les Propriétés Immatérielles)

L’association PiNG s’est toujours engagée pour faciliter et démocratiser l’appropriation des technologies numériques.
Cette démarche s’est concrétisée sur le terrain par la mise en place d’espaces de bricolage et d’expérimentation tel que le fablab du quartier du Breil puis aujourd’hui, celui de Plateforme C.
L’appropriation des technologies d’un point de vue technique et culturel est une condition majeure d’après PiNG, pour que les personnes évoluant dans une société ultra-technologique continuent d’avoir une emprise sur leur environnement, trouvent à s’épanouir, à s’émanciper et conserver un esprit critique et créatif. Les conditions minimales requises pour cette appropriation, seraient que chacun puisse comprendre les modes de fabrication et les éléments qui constituent ces technologies. Et ce, afin d’avoir la possibilité d’intervenir à un moment donné dans leur cycle de vie: conception, réparation, détournement, innovation etc. Pour cela, il est évidemment préférable de comprendre les principes de base du numérique, à savoir l’électronique et la programmation informatique, ne serait-ce qu’en des termes élémentaires.
Comprendre ces bases fonctionnelles des technologies numériques est cependant inutile si nous n’avons pas la possibilité d’y accéder. Permettre à tout un chacun d’accéder aux recettes de fabrication des technologies, de « regarder sous le capot », est en ce sens, indispensable. Si ces conditions ne sont pas réunies nous pouvons nous retrouver dans un modèle de société Orwellien supporté par un environnement ultra-technologique déployé tout autour de nous, auquel nous serions subordonnés par manque d’emprise et de discernement.
L’appropriation des technologies nécessite donc une connaissance de la Technique ainsi que la possibilité d’exercer cette connaissance. Pour se faire il faut une technologie qui soit « ouverte », « libre », afin que chacun puisse avoir la possibilité d’en comprendre le fonctionnement.
C’est pourquoi PiNG préconise l’utilisation de logiciels et matériels libres. Des solutions ouvertes sont aussi un bon moyen de partager ses connaissances.
Cette démarche se résume souvent à l’expression « culture libre ».
Depuis octobre 2013, les OPENateliers, temps de rencontre et d’échange dédiés au bricolage, prennent place au sein d’une infrastructure plus globale, le fablab Plateforme C. Plateforme C étant porté par plusieurs partenaires, il convient donc d’adapter la proposition de PiNG, coordinateur du projet, au regard des projets de ces partenaires. La plupart d’entre eux étant investi dans le monde de l’éducation, leurs projets pédagogiques et celui de PiNG paraissent être en adéquation : appropriation des technologies via la pratique de machines à commandes numériques, programmation informatique, électronique, documentation et partage de connaissances, émancipation des personnes, etc.
En parallèle à cette dimension pédagogique, Plateforme C est un espace dans lequel peuvent être expérimentés de nouveaux usages et de nouveaux outils ou prototypes. Plusieurs usagers participent de cette dynamique et ont l’ambition de réaliser des projets desquels tirer parfois une valeur marchande ou en tous cas prometteurs en ce sens.
Le fablab de PiNG passe donc d’un espace d’appropriation des technologies à vocation pédagogique à un espace qui croise appropriation des technologies et fabrication de prototypes à vocation commerciale. Cette situation actuelle donne l’occasion à PiNG d’expérimenter la culture libre et de la confronter, d’une certaine façon, à des contraintes économiques.
PiNG est désormais forcé de sortir du cadre « romantique » de la culture libre pour se confronter à celui de la production industrielle, et du marché. La culture libre peut être épaulée par des outils juridiques pratiques et performants qui permettent de l’ancrer dans un environnement plus global. Des licences libres proposent un contexte juridique permettant une économie viable au sein de projets d’ingénierie logicielle par exemple, tout en donnant la possibilité au plus grand nombre d’utiliser, d’étudier le fonctionnement, d’adopter l’utilisation, de redistribuer et d’améliorer les programmes ainsi conçus. Les licences Creative Commons permettent d’envisager la production d’œuvres littéraires et artistiques sous un angle plus social et solidaire, proche de la dynamique des biens communs *.
La volonté de constituer un groupe de travail sur les questions de propriété immatérielle au sein de PiNG, et plus particulièrement au sein de Plateforme C, s’est donc imposée pour mettre en perspective le mythe de la Culture Libre dans un contexte plus général de modèle économique concurrentiel dominant.
Comment accompagner les utilisateurs de Plateforme C dans leur appropriation de la Culture Libre ? Comment répondre à leurs attentes en terme de protection de leurs travaux tout en répondant aux conditions de partage exigées par PiNG, sa communauté d’adhérents et la Culture Libre ?
Quels outils pratiques fournir aux utilisateurs afin de leur faciliter la tâche dans la poursuite d’informations et de ressources sur les questions de licences, garanties, documentation … ?
Ce sont ces pistes que la CEPI étudie durant ses rencontres mensuelles.
La CEPI est composée de militants et d’étudiants en Droit à l’université de Nantes. Son dynamisme ne tient qu’à ce que ces membres en font, et c’est pourquoi, son développement est lent, mais décidé et ouvert à tous.

ÉVÉNEMENTS ET ACTIONS SPÉCIFIQUES
Durant le cycle 2013/2014, la CEPI a déployé différents types d’actions. En plus des rencontres mensuelles auxquelles ont été conviés les adhérents de PiNG, qui ont vu leur fréquentation passer de trois à une petite dizaine de personnes en fin d’année, des temps forts dédiés aux problématiques soulevées par la CEPI ont été mis en place : OPENatelier spécial CEPI, stand lors d’événements ou encore des accompagnements d’adhérents afin de résoudre autant que possible les problèmes auxquels ils sont confrontés.
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Voici quelques exemples des actions ayant eu lieu en 2013/2014 :
▸ Accompagnement de Julien Artus
Définition d’un cadre juridique pour un projet de remorque adaptée au vélo (partage des connaissances, production non privatisable)
▸ Accompagnement de Régis Leruste
Accompagnement d’un projet de conception de méthode de cuisson optimisée : cas d’école car certains brevets avaient été déposés
▸ OPENatelier spécial CEPI
Sensibilisation des adhérents de PiNG à la démarche du CEPI
▸ Stand CEPI durant Festival D
Sensibilisation des visiteurs aux questions de Culture Libre et de propriété intellectuelle
▸ Intervention dans le cadre de « Fête en Libre » au CSC de Chemillé
Présentation sous forme de conférence des questions abordées dans le CEPI : culture libre, partage des connaissances, passager clandestin etc.
▸ Atelier durant le Summerlab 2014
Animation d’un atelier pour désacraliser certaines questions juridiques liées aux question de propriété
IDÉES FORTES AYANT ÉMERGÉES

Des éléments d’appropriation de la culture libre à vulgariser et valoriser
Les personnes ressources à PiNG ont besoin d’outils, de méthodes et de connaissances plus approfondies pour transmettre dans les meilleures conditions, les valeurs portées par la Culture Libre, ainsi que ses possibilités de mise en œuvre. Le CEPI se propose, avec la participation de tous, de développer des moyens pour rendre plus facilement appropriable les aspects juridiques permettant l’existence d’alternatives au régime de propriété intellectuelle actuel :
via le forum, la page dédiée sur le wiki fablabo.net et la signalétique au sein de Plateforme C.
Détailler la notion de passager clandestin
Cette notion ambiguë parle de l’appropriation d’un contenu, d’une production, d’une œuvre et son exploitation par une entité extérieure à la communauté de producteurs qui a permis son développement. Ainsi, le passager clandestin met en déroute toutes les valeurs basées sur le partage des connaissances, l’entraide et invite plutôt au repli et à la suspicion. Mener une réflexion sur ce type de situation au sein d’un fablab tel que Plateforme C semble être pertinent dans la mesure où cette situation pourrait bien arriver tôt ou tard, dans un contexte général de partage des recettes de fabrication et idées.

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Propriété littéraire et artistique compatible avec la culture libre
Une des deux grandes branche de la propriété intellectuelle – la propriété littéraire et artistique – est adaptable à un maximum de critères définissant la culture libre : partage des sources, connaissances et savoir-faire, accès aux sources, connaissances et savoir-faire, modification possible, exploitation commerciale possible ou non, etc.
Des licences telles que les Creative Commons par exemple, donnent au créateur la possibilité de s’inscrire pleinement dans une démarche de partage des connaissances aussi bien que collaborative et/ou participative.
Ces licences Creative Commons ne sont pas seules, il existe la Licence Art Libre également, la licence GPL, etc. : il existe une multitude de possibilités permettant de libérer les sources, recettes, savoir-faire à l’œuvre dans ce type de production.
Ces possibilités d’adaptation sont dues au fait que – en raccourcissant considérablement le cheminement intellectuel – la propriété intellectuelle des productions personnelles identifiées comme appartenant à la propriété littéraire et artistique est d’office attribuée au(x) « père(s) » de l’œuvre puisqu’il il n’y a pas besoin d’effectuer de dépôt.
Propriété industrielle incompatible, dans l’état actuel des choses, avec la culture libre
À la différence de la propriété littéraire et artistique, la propriété industrielle suppose une formalité de dépôt pour obtenir des droits sur une production. Le cas le plus connu est celui du brevet auquel moult entreprises ont recours pour faire valoir leur droit de propriété sur telle ou telle « invention », afin d’en posséder les droits d’exploitations exclusifs. Le dépôt de brevet est coûteux mais ne pas déposer de brevet peut également faire perdre beaucoup d’investissement à celui ou celle qui a passé du temps sur le développement d’un nouveau dispositif. C’est pourquoi, le champ de la propriété industrielle est peu compatible en l’état, avec la Culture Libre. Il existe cependant une solution des plus altruiste : publier son invention, ce qui la fait entrer dans le domaine public. Cette publication empêche quiconque de déposer un brevet mais ne permet pas à l’inventeur de « contrôler » l’exploitation qui sera faite de son invention.
Afin de garder ce « contrôle », une solution alternative peut être envisagée, en l’état actuel des choses. Elle consiste à payer pour le dépôt d’un brevet, d’en devenir ainsi propriétaire et exploitant. De là, le propriétaire peut imaginer toutes les modalités d’utilisation qu’il veut. Il peut décider que son invention ne peut-être utilisée que dans un cadre non commercial. En quelque sorte, il se libère de ce dont il est propriétaire… difficile d’imaginer une telle vague d’altruisme de la part des entreprises qui dominent le marché. D’autant plus qu’une invention brevetée est forcément une connaissance partagée par tous, même si non exploitable/utilisable par tous, du fait que le brevet une fois validé, se formalise sous une documentation accessible par tout le monde.
Au cours de cette année d’expérimentation avec la CEPI, nous avons donc buté sur cette notion qui donne lieu à cette conclusion temporaire : Aucun dispositif actuel ne permet la libération de la propriété industrielle avec un contrôle a posteriori.
En ce sens, il peut être intéressant d’aller plus loin dans nos investigations sur ce sujet afin de trouver des solutions, ou d’en imaginer, pour rendre possible une création industrielle qui soit en adéquation avec les valeurs de la Culture Libre.
Théorie des juristes et pratiques des bricoleurs du fablab
Les croisements entre praticiens, étudiants et chercheurs donnent lieu à des situations et cas de figure nouveaux qui, de part et d’autres, décloisonnent les connaissances et points de vue, et amènent à l’élaboration d’une « appropriation du juridique » au même titre qu’une « appropriation de la Technique ».
Il est plutôt positif de poursuivre et même d’officialiser entre les différents protagonistes, ce format de travail collaboratif.
SAISON 2014/2015
Rendez-vous mensuels
Les rendez-vous mensuels continuent pour partager veille, connaissances, études de cas concrets, café chaud et idées fraîches. Les prochaines dates : jeudi 16 octobre et jeudi 27 novembre à partir de 16h.
Formation aux licences libres
Une journée dédiée aux questions juridiques et à la culture libre sera intégrée dans le programme de formations proposé par PiNG. Une journée afin d’en savoir un peu plus sur les rudiments du droit appliqué à la Culture Libre, les solutions libres existantes, comment on crée une licence, quelles boites à outils mettre en place dans sa structure etc. Des dates seront bientôt annoncées pour le semestre janvier-juin 2015.
Accompagnements
Les accompagnements au cas par cas seront reconduits pour la saison 2014 2015 dans la mesure du possible, en fonction des disponibilités des membres juristes de la CEPI.
* Les biens communs correspondent en économie à l’ensemble des ressources, matérielles ou non, qui sont rivales et non-exclusives.

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