Réparer les objets … et les rendre désirables

Bricoler aujourd’hui
Jusque dans les années 70-80, être bricoleur était considéré comme une qualité recherchée. Il était de bon augure de faire perdurer des meubles, vêtements, outils … de génération en génération, en les préservant de l’usure, en les réparant quand c’était nécessaire.

D’après la page Wikipédia sur le bricolage, on apprend que : « le bricolage regroupe les occupations exercées hors du cadre professionnel en tant qu’amateur et liées à la création, l’amélioration, la réparation et l’entretien de toutes choses matérielles. ». On considère donc comme du bricolage le fait de recoudre un pantalon, de lui ajouter un écusson, de réparer sa voiture avec quelques outils comme ce fut le cas de la 2CV ou encore de travailler le bois, le métal, la mécanique etc. dans des cadres non professionnels.

Le bricolage subsiste aujourd’hui. On peut le constater par le nombre de magasins spécialisés qui fleurissent un peu partout. Cependant, on bricole plus facilement pour aménager sa maison que pour fabriquer ou réparer des objets du quotidien, d’autant plus s’il s’agit d’objets électroniques ou informatiques.
Wikipédia nous informe encore que les principaux secteurs du bricolage aujourd’hui seraient la plomberie (14%), la peinture (12%) ou encore le bois (13%).
On peut noter que, toujours dans ce même article, sont référencées des pratiques de bricolage sur de l’équipement électrique (lampes, circuits électriques, prises etc.), de l’électroménager et de la domotique, mais aucune en direction d’objets technologiques plus avancés ou informatiques. Ce sont pourtant des pratiques moins présentes mais qui existent bel et bien, notamment par le biais du mouvement des makers et des fablabs et de leur outils éponymes, Arduino et l’imprimante 3D.
Ces mouvements précités favorisent une approche du bricolage par l’innovation technologique et le « do-it-yourself », tout en délaissant, dans une moindre mesure, les questions de la réparation, de la gestion des D3E* et du bricolage d’outils numériques plus «conventionnels» mais néanmoins très répandus, tels que les ordinateurs, téléphones etc. (pratique déjà plus présente dans les hackerspaces).
Ce sont ces aspects du bricolage et de la réparation dans une société numérique qui sont explorés ici à PiNG à travers le projet (s)lowtech.

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Vers une technologie complexe
Avec la complexité toujours croissante de la technologie, le mythe du bricoleur capable de tout réparer est en berne. Une des raisons majeures à ce ralentissement du faire-par-soi-même est la difficulté d’appropriation des technologies modernes: dur de fabriquer des composants ou des puces en silicium dans son garage ou encore de réparer sa voiture moderne qui contient un tableau de bord entièrement informatisé, verrouillé et impraticable.
D’un point de vue technique, il devient moins évident, voire impossible de réparer des objets utilisant des technologies numériques. Ces objets requièrent une somme de connaissances et de savoir-faire allant du simple principe de mécanique à des algorithmes complexes, souvent inaccessibles, par ailleurs, pour des raisons de propriété intellectuelle. Il faut savoir que ces questions de propriété relatives aux connaissances sont à l’œuvre de façon drastique dans le secteur industriel et plus particulièrement encore dans les industries des technologies.
On peut dire, qu’en plus de complexifier le bricolage par l’avènement de technologies de pointe difficilement appropriables par tout un chacun, les industriels auraient tendance à le proscrire la plupart du temps par une réglementation juridique sévère et dissuasive (brevets, secrets de fabrication, normes de sécurité à respecter pour manipuler des objets et produits qui peuvent s’avérer dangereux…).

Certains font fi de ces deux paramètres et engagent ce que l’on appelle des démarches d’« ingénierie inversée », de « hacking » afin de percer à jour le fonctionnement d’artefacts numériques opaques.
Ces pratiques consistent à comprendre comment la machine est conçue, programmée, architecturée. En quelque sorte, à leurs risques et périls, ces personnes se rapprochent du statut de bricoleurs de l’âge numérique visant à satisfaire leur curiosité, relever des défis, tester la sécurité de systèmes ou plus simplement à rendre service à leur grande tante ou cousin impuissants face à une panne récente de leur matériel etc.

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La culture du jetable
En parallèle, les médias de masse et la culture populaire se sont laissés contaminer par une puissante idéologie du jetable, attisée régulièrement par la publicité, les modes successives et la ringardisation des pratiques et comportements plus anciens.
C’est ainsi qu’il est aujourd’hui plus simple et moins coûteux de se débarrasser de son imprimante ou de son jean, tous deux achetés un an plus tôt, pour en racheter de nouveaux, à la mode, avec de nouvelles options et un nouveau design, plutôt que de tenter de les remettre au goût du jour ou de les réparer. C’est non seulement plus simple, car moins coûteux et plus accessible, mais c’est aussi désiré par la plupart d’entre nous.

L’obsolescence des objets et la production massive de déchets par les pays industrialisés ne seraient pas qu’une question de technique mais aussi et peut-être avant tout, une affaire de culture de masse, très attachée à la nouveauté, à l’innovation, à l’impression d’être « dans le coup ».
Une culture de masse qui relègue ainsi tout ce qui est légèrement usé ou passé de mode, au placard, en attendant la déchetterie.

On peut ainsi avancer que pour réparer ou raccommoder, il faut d’une part en avoir la possibilité technique, la permission juridique, et bien sûr, la volonté, qui elle, dépend du désir des personnes à l’encontre de la réparation.
Désir manipulé à outrance par la publicité depuis la fin des années 60, comme nous le rappelle le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales dans la définition, autant objective et neutre que possible, qu’il en donne : « Action, fait de promouvoir la vente d’un produit en exerçant sur le public une influence, une action psychologique afin de créer en lui des besoins, des désirs; ensemble des moyens employés pour promouvoir un produit. »
Ainsi, nos désirs sont ils créés et stimulés régulièrement par des annonces concernant de nouveaux produits technologiques aux allures, performances, coûts … encore plus prometteurs que les précédents et qui ne tardent pas à avoir raison de nous, nous exhortant à nous séparer avec dédain de nos fétiches anciens.

Un changement nécessaire de paradigme
Au delà du rôle de chacun à gérer sa consommation, les pouvoirs publics auraient un rôle important à jouer pour limiter les effets d’un tel cercle vicieux, comme par exemple « favoriser fiscalement (TVA, éco-taxe, contribution climat-énergie) la réparation des appareils par rapport à l’achat de nouveaux » ou « contraindre les constructeurs à adopter des normes d’interopérabilité matérielle [NDLR: et logicielle] (alimentation, branchements externes, pièces détachées…) au moins au niveau européen. » tel que le propose le blogueur Adrien Saumier.

La publicité assure une pérennité au modèle économique actuel en s’appuyant sur le renouvellement permanent des stocks de production, par le biais de la consommation soutenue de la part des personnes. G.W.Bush n’avait il pas, au lendemain de l’attentat des Twin Towers en septembre 2001, motivé les américains à consommer un maximum pour soutenir leur pays et relancer son économie ?

La question de l’obsolescence des objets est donc profondément liée à la façon dont notre industrie et notre économie actuelles fonctionnent. Proposer de ralentir cette dynamique en réparant nos objets et de fait, en les conservant plus longtemps, pourrait être ressenti comme une attaque directe aux modèles économique et de production actuels.

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Y a t-il un avenir pour la réparation ?
Il faut pouvoir imaginer dans quelle mesure la réparation peut exister dans notre société numérique. On se rend compte ici qu’elle se confronte à 3 freins majeurs :
– la complexité des technologies de moins en moins « conviviales » au sens d’Ivan Illich, et donc de plus en plus difficile à réparer, à s’approprier,
– l’opacité des technologies et la défiance des industriels qui s’appuient sur des régimes de protection de propriété intellectuelle de plus en plus durs, anesthésiant toute velléité de bricolage,
– les principes de renouvellement intempestif de la mode et de l’innovation, soutenus par la publicité et une grande majorité des politiques publiques qui sont des concepts et des outils imbriqués dans notre modèle économique dominant actuel.

On peut rajouter à ces trois points l’aspect fonctionnel car il est nécessaire de disposer d’espaces dédiés pour pouvoir bricoler, que ce soit des ateliers privatifs ou collectifs au sein d’un fablab, d’un atelier communal etc. Et bien entendu de disposer de temps libre pour bricoler, ce qui commencerait par une revalorisation du concept de chômage et une réflexion vis à vis du rapport que l’on entretient face au travail salarié.
Ce premier constat révèle les difficultés de terrain pour populariser et démocratiser la réparation d’objets dans le contexte technologique actuel qui est celui des technologies numériques, des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), du nucléaire, des OGM (Organisme génétiquement modifié) et de l’économie mondialisée, financière, capitaliste et libérale.
Pour réparer les objets, il faut donc créer les conditions et le désir nécessaire en suscitant l’envie de posséder et de manipuler les objets réparés eux-mêmes. Inventer une nouvelle culture de l’objet, de la consommation et de la production.

*D3E ; déchets d’équipements électriques et électroniques

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